Saturday, October 29, 2005

Les Banyarwanda au Congo

L’identité rwandaise en République démocratique du Congo.
Parution : 2/10/2003 Auteur : Centre d’information géopolitique

Depuis la prise de pouvoir de Laurent Désiré Kabila et la chasse aux Tutsis encouragée par ce dernier et intervenue en août 1998 se pose avec acuité la question de l’identification des « Rwandais en RDC ».
D’un point de vue historique, il est nécessaire de déterminer quel a été le déroulement des vagues d’immigrations des Rwandais chez le grand voisin congolais. Ces dernières ont, en effet, engendré de nombreux conflits dans la région du Kivu puis deux guerres civiles qui ont vu la chute de Mobutu et la mise en place d’une zone de rébellion en rupture avec le nouveau régime de Kinshasa.
Ces conflits successifs ont démontré la difficulté, voire le refus de reconnaître un statut juridique aux populations d’origine rwandaise au Congo, populations qu’il y a lieu de distinguer des Rwandais arrivés massivement après la guerre civile au Rwanda et le génocide des Tutsis en 1994.
Après avoir déterminé quelles sont les populations identifiables et identifiées comme étant d’origine rwandaise, il faudra exposer quelle est leur situation à Kinshasa et en zone de rébellion.
I. L’immigration des « Rwandais » dans la région du Kivu avant 1994
L’immigration des « Rwandais » dans la région du Kivu voisin s’est faite de manière progressive jusqu’en 1994 : elle est intimement liée à l’histoire du Rwanda et à l’influence du colon belge.
1/ Situation ethnique et politique du Rwanda au début du siècle
Le Rwanda était initialement un royaume où cohabitaient des populations distinctes par leurs fonctions et non par leurs ethnies.
Par Banyarwanda [1] , on entend l’ensemble des Tutsis, Hutu et les Twas qui parlent le Kinyarwanda et qui vivaient initialement au royaume du Rwanda. Mis au banc de la société aussi bien par les Tutsis que par les Hutus, les Twas, qui représentaient 1 à 2% de la population de souches pygmées, ont toujours exécuté des taches subalternes. Il y avait une classe minoritaire et dominante d’éleveurs de vaches appelée Tutsis, originaire de la corne de l’Afrique, à laquelle était soumise la classe majoritaire d’agriculteurs appelée Hutus, d’origine bantoue, représentant environ 85 à 90 % de la population. Ces populations parlaient la même langue, le Kinyarwanda, occupaient les mêmes terres et avaient les mêmes références culturelles. Il s’agissait d’un véritable système féodal qui voulait que la classe des Hutus laisse ses terres à disposition de la classe des Tutsis qui pouvaient ainsi faire paître leurs vaches. Il existait des relations de clientélisme entre les deux classes, les Tutsis prêtant leurs vaches aux Hutus qui eux même devaient prêter leurs terres en échange. Dans ce système féodal, la vache représentait l’attribut de la richesse. Les plus riches des Tutsis avaient les troupeaux les plus importants.
La totalité de l’aristocratie était tutsie mais la majorité des Tutsis n’avaient pas de position sociale beaucoup plus élevée que les Hutus. Au sommet de cette organisation sociale se trouvait le roi Mwami doté de pouvoirs divins et incarnant l’unité nationale. Ce système connaissait une certaine souplesse. Le roi s’entourait de chef de guerre tutsis mais aussi de conseillers hutus qui géraient la répartition de la terre. Il existait, en outre, des royaumes dans le nord du Rwanda qui relevaient des Hutus uniquement.
Les Tutsis ont d’abord été considérés par les Européens comme une « élite naturelle » de par la différence morphologique puisqu’ils se caractérisent par une grande taille, une minceur et des traits fins. Certains les considèrent comme une population nilotique (issue de la vallée du Nil) qui s’oppose aux caractéristiques des Hutus assimilés aux Bantous qui sont de petite taille, plus trapus et qui ont les traits moins réguliers. Ce n’est que sous la domination coloniale des Belges que ce clivage social s’est accentué pour être appréhendé comme un clivage ethnique.
Le fait que les Tutsis soient un peuple de pasteurs a toujours posé le problème de l’occupation des terres par les troupeaux de vaches qui ont besoin d’un espace étendu. Et, progressivement, le Rwanda, royaume exigu, connaît une surpopulation, laquelle pose inéluctablement le problème de l‘occupation des terres.
2/ Les populations rwandaises relevant du territoire congolais après la convention germano-belge de 1910
A l’époque du tracé des frontières entre les puissances européennes à Berlin en 1885, le concept même de pays en Afrique apparaît comme hors de propos. La convention germano-belge intervenue en 1910 a restitué une partie des territoires du Rwanda et de l’Urundi à l’Allemagne. Cette convention a cependant laissé des populations d’origine tutsie de l’autre côté de la frontière congolaise. Une partie des populations tutsies du Rwanda précolonial va être considérée comme relevant des terres congolaises et de l’administration coloniale belge.
A ce moment, les Tutsis vivant au Congo occupaient deux régions distinctes qui sont au Nord-Kivu : le Masisi et le Rutshuru dont les territoires relevaient du roi du Rwanda avant la conférence de Berlin. On parle alors de « banyarwanda d’origine tutsie vivant au Congo ». Dans ces territoires on retrouve des Tutsis dans le canton de Bwisha dans la zone administrative de Rutshuru et dans celui du Gihari dans la zone du Masisi. Il faut ajouter en outre, les populations banyarwandas des terres de Djomba, Kanrusi et l’île d’Idjwi relevant elles aussi de l’administration coloniale belge.
De ce groupe de Tutsis vivant au Congo, il faut distinguer les éleveurs tutsis installés sur les hauts plateaux de l’Itombwe pour leur élevage, appelés de manière spécifique les banyamulenge. Ces tutsis congolais ont tiré leurs noms de l’occupation de la colline de Mulenge, à côté de laquelle ils s’étaient installés. Cette appellation s’est popularisée à partir de 1967 afin de distinguer cette population des autres Tutsis congolais. A partir de 1998, ce terme est utilisé de manière indifférente pour parler de tutsis congolais.
Ces populations rwandophones ont vécu en bonne intelligence avec les autochtones qui leur ont laissé l’opportunité d’occuper leurs terres afin d’étendre leurs troupeaux. Cependant, elles ont gardé des caractéristiques marquées comme une endogamie forte et un certain repli communautaire qui n’a pas permis une réelle intégration de ses populations.
3/ Le transfert des populations rwandaises au Congo belge
Les Belges qui héritent du Rwanda et de l’Urundi après la Première guerre mondiale, constatent une densité de population élevée au Rwanda, déjà considéré comme surpeuplé. Ils y voient aussi un réservoir de main d’oeuvre pour la colonie congolaise voisine qui est en train de se développer et qui est nettement moins peuplée. En 1937, les autorités coloniales du Rwanda et les autorités de la province du Kivu signent un accord afin de mettre en place, d’une part, la migration des Banyarwanda vers le Kivu et, d’autre part, de créer et de peupler la circonscription du Masisi.
Il y aura ainsi un transfert de près de 200 000 personnes sous la période coloniale, essentiellement des Hutus encouragés par les Belges pour cultiver les terres. Dans le Rutshuru, par exemple, les colons belges ont encouragé exclusivement la culture de la terre par les Hutus, de peur de voir les terres occupées par les vaches des pasteurs tutsis. Pour accentuer la différence avec le Rwanda voisin, ce sont des chefs hutus qui ont été nommés à la tête des colonies comme à Bishwa en 1923.
La présence des populations immigrant du Rwanda voisin sous l’impulsion du colon, ne posait pas encore de graves problèmes d’occupation de terres. Il existait, en effet, un véritable contrat foncier qui facilitait l’accès à la terre des immigrants dans un rapport de clientélisme par rapport aux propriétaires fonciers autochtones. Le Kivu, par son territoire étendu, avait toujours été, en outre, une terre d’immigration pour ces populations ; immigration facilitée par la porosité des frontières.
De 1953 à 1955, le peuplement s’accroît pour venir ainsi s’étendre aux terres hunde, englobant la région du Washali-Makoto : 150 000 hectares sont pour ainsi dire colonisés par les Banyarwanda. Dès leur arrivée, leur assimilation par les populations locales s’avère difficiles. En effet, les Banyarwanda bénéficient de structures administratives autonomes, ce qui les affranchit de l’autorité des chefs traditionnels locaux, lesquels acceptent mal cette indépendance. De plus, les populations locales y voient une occupation de leurs terres.
Les colons belges ont aussi recruté massivement de la main d’œuvre, dont 80 000 Banyarwandas provenant aussi du Burundi, afin de développer l’agriculture et l’exploitation minière au Katanga, au Maniema et dans le reste du Kivu. Des bureaux de recrutements ont répartis cette main d’œuvre en l’orientant vers la société des Mines d’or de Kilo-Moto en Ituri, la Compagnie minière des grands lacs africains, le Comité national du Kivu et l’Union Minière du Haut Katanga. La région du Sud Kivu qui connaissait déjà la présence des Banyamulenge n’a pas intéressée les colons belges et n’a pas connu d’importants transferts de population.
4/ L’immigration politique des Tutsis après les massacres de 1959
Les colons belges vont accentuer les antagonismes entre les Tutsis et les Hutus, dès leurs reprises de la colonie. Il faut souligner qu’initialement, les colons ont renforcé la sphère de pouvoirs des premiers au détriment des seconds. Lorsque l’aristocratie tutsie revendique l’indépendance du Rwanda, les belges décident de modifier leur politique coloniale. Ces derniers, qui ne s’étaient jamais élevés contre la domination des Tutsis sur les Hutus, bien au contraire, vont, en effet, changer d’allié politique. Le choix tactique des colons consiste alors à s’appuyer sur la majorité hutue afin de retarder l’indépendance de la colonie. Les Belges vont diaboliser, d’une part, les Tutsis en les accusant d’être les oppresseurs. Ils vont expliquer aux Hutus, d’autre part, qu’ils sont restés trop longtemps une masse exploitée par les seigneurs tutsis.
A travers le système éducatif, les colons belges, mais aussi l’église, dont la place était prédominante, n’ont cessé d’accentuer ses différences sociales et de les radicaliser. Leurs influences ont été telles que les populations ont considéré lesdites différences comme une réalité, oubliant par là même les nombreuses ressemblances culturelles et l’utilisation commune de la langue du Kinyarwanda.
En 1957, le premier manifeste hutu est publié. En novembre 1959, c’est « la toussaint Rwandaise » qui voit les premiers massacres des Tutsis par les Hutus qui s’approprient les biens de leurs anciens seigneurs. Il y aura 20 000 morts entre 1959 et 1963.
Les Tutsis fuient vers les pays voisins dont l’Ouganda (35 000 personnes), le Burundi (35 000 à 42 000 personnes), la Tanzanie (10 000 personnes) et au Zaïre, au Nord Kivu (60 000 personnes). Après ces massacres, une véritable diaspora tutsie s’installe dans les pays voisins. Une partie de celle-ci réfugiée, en Ouganda, ne renoncera pas à ses revendications sur le Rwanda et souhaitera ardemment la chute du régime autoritaire hutu d’Habyarimana, arrivé au pouvoir à Kigali en 1973. Elle sera rejointe par la suite par certains hutus du sud du Rwanda s’estimant lésés par le régime autoritaire d’Habyarimana qui, lui, vient du nord du pays.
5/ La question de la nationalité des Banyarwanda et des Banyamulenge sous le régime du Président Mobutu
Comme il a été dit précédemment, le Kivu a été dès la deuxième parie du 19ème siècle, une terre d’immigration et d’implantation durable d’une partie des populations banyarwanda. A l’indépendance du Congo, les populations banyarwanda administrées par les Colons belges, en application de la Convention germano-belge de 1910, obtiennent la nationalité congolaise puis zaïroise. Le président Mobutu, dans le cadre de sa politique de la Zaïrianisation, décide, par ordonnance présidentielle en date du 26 mars 1971, de l’octroi collectif de la nationalité zaïroise aux populations rwandaises qui vivent au Kivu. Cette décision est prise sous l’influence de chef de cabinet de Mobutu, Barthélemy Bisengimana Rwema d’origine banyarwanda et ancien président des étudiants rwandais à l’Université Lovanium à Kinshasa. Cette disposition est confirmée par la loi n°72-002 du 5 janvier 1972, relative à la nationalité zaïroise, qui dispose à titre introductif dans son article 2 que « le Zaïrois ne peut posséder qu’une seule nationalité ». Cette loi dispose, en outre, dans son article 15, que les « personnes originaires de Rwanda-Urundi qui étaient établies dans la province du Kivu avant le premier janvier 1950 et qui ont continué à résider depuis lors dans la République du Zaïre jusqu’à l’entrée en vigueur de la présente loi ont acquis la nationalité zaïroise à la date du 30 juin 1960 » [2].
Le caractère collectif de l’octroi de ladite nationalité zaïroise est apparu, pour certains, comme un non-sens juridique qui a jeté le discrédit sur cette disposition. Il était difficile d’identifier les populations visées par la loi en raison, d’une part, de l’immigration clandestine rwandaise, facilitée par la perméabilité des frontières et, d’autre part, de la faiblesse de l’administration zaïroise qui a permis à beaucoup d’obtenir des papiers d’identité grâce à la corruption endémique du régime de Mobutu.
Les Rwandais installés plus récemment ou ceux ayant fui les massacres ethniques de 1959, n’ont pas toujours souhaité renoncer à leur nationalité d’origine dans l’optique d’un retour nostalgique au Rwanda et ont cumulé deux nationalités, sans chercher à respecter les dispositions législatives relatives à l’octroi de la nationalité zaïroise, achetant souvent leur carte d’identité.
La fin des années 70 au Zaïre est marquée par une vision de plus en plus restrictive de la notion de l’autochtonie, laquelle se traduit par une concentration croissante des pouvoirs entre les mains de la tribu du président Mobutu. Les partisans du parti unique du président choisissent en 1981, lors de l’assemblée nationale du Mouvement populaire pour la révolution, d’interdire l’octroi de la nationalité pour les personnes natives des tribus qui ont immigré au Zaïre. En 1981, Mobutu adopte donc une nouvelle loi sur la nationalité zaïroise qui est suivie d’une ordonnance d’application n° 82-061 en date du 15 mai 1982 qui énonce dans son article 20 que « sont nuls et non avenus les certificats de nationalité congolaise ou tout autre document d’identité délivrés en application de l’article 15 de la loi n°72-002 du 5 janvier 1972 sur la nationalité zaïroise ». Cette disposition a pour objectif et pour conséquence le retrait collectif de la nationalité aux populations originaires du Rwanda vivant au Zaïre. Pour certains, la nationalité zaïroise va devenir impossible à prouver et leur nationalité va donc devenir douteuse voire inexistante.
Lors de la Conférence Nationale Souveraine de 1991, la question de la représentation des Banyarwandas et des Banyamulenges dans les instances politiques zaïroises va ressurgir et va être un point de discorde important. La nationalité de ces derniers étant sans cesse mise en doute, ils n’ont pas pu participer à cette Conférence. Plus tard, le gouverneur du Sud-Kivu, déclarera en septembre 1996, que les Banyamulenge doivent quitter le territoire sous peine d’être internés ou d’être exterminés.
II. les conséquences migratoires de la guerre civile rwandaise au Zaïre
1/ Le problème latent de la diaspora tutsie en Ouganda
Une partie des enfants, fils de la diaspora tutsie réfugiée en Ouganda depuis les premiers massacres de 1959 a intégré les rangs de la rébellion ougandaise de Museveni, devenue ensuite l’armée régulière ougandaise après l’accession de celui-ci au pouvoir. On retrouve en 1985 dans ses rangs, le futur président rwandais d’origine tutsie, Paul Kagame, issu du camp de réfugiés de Tutsis rwandais de Toro en Ouganda.
Avec l’arrivée au pouvoir de Museveni et l’appui de la diaspora tutsie rwandaise dans sa rébellion, des Tutsis rwandais affluent en Ouganda en espérant se voir reconnaître une citoyenneté à part entière après avoir payé du prix du sang la victoire de Museveni. Ceux-ci bénéficient un certain temps de la protection du dirigeant ougandais. Se mettent ainsi en place des réseaux d’affaires qui s’étendent jusqu’au Kivu, Kinshasa et la Tanzanie. Cette réussite provoque un certain malaise chez les Ougandais qui vont souhaiter le départ de ces populations. A la fin des années 80, la Banque mondiale exige une restructuration de l’armée ougandaise qui doit se traduire par une réduction drastique de ses effectifs. Le président ougandais est contraint de renvoyer de son armée les Tutsis rwandais, qui pourtant lui ont été indispensables à sa victoire militaire et à son accession au pouvoir.
La question de la minorité des Tutsis se pose à nouveau et ces derniers, tout comme ceux qui vivent en Tanzanie, souhaitent ardemment retourner dans leur pays puisqu’ils sont exclus du droit à une nationalité dans les pays où ils se sont réfugiés. Le Président hutu Habyarimana qui dirige le Rwanda rejette l’existence de cette diaspora en invoquant un pays trop exigu en cas de retour de cette population persécutée depuis 1959. Ladite diaspora, très politisée et bien entraînée militairement fait le choix des armes autour du Front patriotique Rwandais (FPR) avec à sa tête Paul Kagame, encouragé par le dirigeant ougandais. Museveni voit là un moyen de régler le problème de la diaspora tutsie qu’il parvient ainsi à occuper et à motiver pour la reconquête du pays natal. Paul Kagame suit un programme d’entraînement aux Etats-Unis en 1990 et rentre en urgence en Ouganda après l’échec de l’incursion du FPR au Rwanda en 1990. La branche armée du FPR, l’Armée Patriotique Rwandaise (APR) a été, à ce moment, confrontée à une armée rwandaise, forte de 15 000 hommes et aidée par un contingent envoyé par Mobutu et par des militaires français dépêchés par François Mitterrand, appelé au secours par le président rwandais.
L’échec de cette incursion oblige Kagame a changé de tactique. Il décide de former une véritable guérilla, près des volcans de la Virunga, afin de reconquérir le Rwanda. Le FPR prépare la reconquête du Rwanda à partir de la région des volcans. L’Ouganda de Museveni apportera en outre un soutien logistique et matériel au FPR. Cette guérilla va mener des incursions de plus en plus violentes dans le Rwanda qui va s’accompagner d’une répression sanglante des populations tutsies encore sur place par le régime hutu.
2/ Le début des tensions au Kivu en 1993
Le repli du FPR et les incursions de sa guérilla deviennent les vecteurs du discours sécuritaire et haineux des tenants du « Hutu power » qui voient dans la minorité tutsie l’ennemi intérieur qu’il convient d’exterminer dans la droite ligne de la révolution sociale de 1959. Révolution qui a vu les premiers massacres de la minorité tutsie par la majorité hutue, laquelle souhaitait récupérer les terres dont elle avait été, soi-disant, toujours spoliée. Les radicaux hutus, appelés Akazu, proches du Président Habyarimana, et originaires du nord du pays ne souhaitent pas que le dialogue s’engage dans le cadre du multipartisme, récemment instauré, avec le FPR et les Hutus modérés. Ils sont prêts à tout pour que le pouvoir reste entre les mains du clan et propagent un discours haineux à travers des médias, comme la radio des Mille collines.
La montée des tensions ethniques au Rwanda et l’échec des accords de paix d’Arusha de 1993, ont quant à eux des répercussions au Zaïre voisin. La tension augmente dans le Kivu où les populations d’origine rwandaise deviennent des boucs émissaires. Elles ont revendiqué le droit à la nationalité et à l’éligibilité mais ont été exclues du processus démocratique de la Conférence nationale souveraine débutée en 1991. Leurs revendications sont mal vécues par les autres tribus dont elles deviennent objet de jalousie en raison de leur réussite économique, dans la restauration ou l’exploitation de grandes fermes. La répartition foncière avec les autochtones pose aussi des problèmes accrus dans une région très densément peuplée. L’octroi éventuel de la nationalité auxdites populations et l’exercice du droit de vote qui en découlerait fait aussi peur aux autochtones.
Les violences ethniques entre autochtones et Banyarwanda s’aggravent dans un climat régional très tendu en raison des infiltrations de l’APR de Kagame en terre rwandaise et les tensions au Burundi. Il y a ainsi de nombreuses attaques dans le Nord Kivu des populations Banyarwanda par les Nyanga et les Hunde. Ces attaques sont tolérées par les autorités locales et les Forces armées zaïroises qui restent impassibles. En réalité, Mobutu, à la fin de son règne, choisit de laisser la situation se dégrader en laissant faire ces massacres. Il espère ainsi pouvoir représenter aux yeux de la population le dernier recours pour sauver l’unité nationale. De mars à août 1993, le conflit fait de 6000 à 7000 morts dans la zone de Walikale et de Masisi ainsi que dans les zones de Rutshuru et la collectivité de Bwito. A ce moment, il existe une véritable cohésion de la population des Banyarwanda dans le Kivu contre les multiples agressions dont ils sont victimes par les tribus locales des Hunde, Nande et des Nyasas. Il n’y a pas encore lieu de faire de distinction entre les origines tutsis ou hutu desdites populations. Cette unité est totalement remise en cause par le discours ethnique importé du Rwanda.
3/ Le génocide rwandais et l’afflux des Hutus au Zaïre
En 1994, les Tutsis Rwandais sont victimes d’un génocide de la part des Hutus et de leurs chefs. Le génocide commence le 6 avril 1994, jour de la disparition du Président rwandais Habyarimana et son homologue Burundais. Les massacres visent les Tutsis et les Hutus modérés. En un peu plus de trois mois, entre huit cent mille et un million de personnes, essentiellement des Tutsis, vont périr dans les massacres.
Corrélativement à ces massacres, l’armée très structurée et bien armée du FPR reconquiert le pays en raison de la déliquescence des Forces armées rwandaises (FAR) qui se sont avérées peu disciplinées et peu motivées au combat. Certains de ses bataillons se sont surtout investis dans le génocide oubliant qu’il fallait défendre le territoire. En juillet 1994, le FPR prend le pouvoir à Kigali et une partie de la diaspora tutsie retourne au Rwanda.
Cette reconquête du pays par la minorité tutsie exilée a pour principale conséquence de faire fuir la population hutue (deux millions de personnes déplacées) dans les pays voisins. Dans sa reconquête, l’APR n’a pas hésité à agir brutalement, souhaitant pourchasser les génocidaires ou ceux qui les ont aidé. Un couloir humanitaire est mis en place sous l’égide des Nations Unies et de la France : l’« Opération turquoise ». L’arrivée de près d’un million de Hutus dans le Nord Kivu est très mal vécue dans cette région déjà surpeuplée d’autant qu’une partie des réfugiés dont les miliciens hutus et les Interhamwe (groupe de miliciens hutus extrémistes qui ont commis la plus grande partie du génocide au Rwanda) s’installent au Kivu dans une optique de réarmement et de retour militaire au Rwanda. Ils veulent créer un « Hutuland » en territoire zaïrois afin de reconquérir le Rwanda. Cette période est caractérisée par l’arrivée massive de réfugiés hutus qui a pour conséquence le déplacement et l’expulsion de leurs terres des autochtones et des Banyarwanda tutsis.
Les populations locales du Nord Kivu se sentent en minorité dans leur propre région qui devient une région toujours plus dangereuse en raison des conditions de vie dans les camps de réfugiés surpeuplés, des vols, pillages et des multiples agressions des populations locales et de l’embrigadement de force pratiqué par les extrémistes hutus.
4/ L’exacerbation des tensions au Kivu entre 1994 et 1996.
Entre l’été 1994 et l’été 1996, des conflits opposent plusieurs belligérants dans le Kivu. Les Hutus zaïrois se sont associés à leurs cousins Hutus rwandais. Les Hutus rwandais récemment arrivés sur le sol zaïrois refusent de rester dans les camps de Goma et se rapprochent des Banyarwanda hutus du Masisisi qui sont installés depuis des années et regroupés dans la mutuelle agricole des Virunga.
Quant aux Tutsis zaïrois, victimes de persécutions des Hutus, ils ont craint de devenir les potentielles victimes d’un nouveau génocide. Ils ont donc rallié leurs cousins rwandais pour défendre leur propre sécurité, devenant pour longtemps aux yeux des Zaïrois les émissaires de Kigali. Paul Kagame, sur les conseils de son ami Museveni, Président de l’Ouganda, profite de cette conjoncture pour recruter des jeunes Tutsis zaïrois, ainsi que des orphelins du génocide, dans l’Armée patriotique rwandaise. Ceux-ci vont être dénommés « les soldats sans frontières », formés pour éviter un nouveau génocide. Ces bataillons sont rompus aux techniques de la guérilla, comme les techniques d’infiltration en milieu ennemi et maîtrisent très bien les outils de communication grâce au soutien de l’armée américaine dans leur formation.
Les tribus locales composées des Nande, Nyanga, Tembo et Hunde aussi menacées par la domination rwandaise puis plus récemment par la présence massive des Hutus se regroupent en milice. On parle alors des milices « Maï Maï ».
Les Forces armées zaïroises en décomposition tolèrent quant à elles, les exactions commises par les Hutus. Il y a pendant cette période environ 30 000 morts selon Gérard Prunier. Pour d’autres, comme les organisations locales de défense des droits de l’homme, il y a eu près de 70 000 morts et plus de 250 000 déplacés. Le pouvoir en place à Kinshasa tolère ces exactions qui règlent en partie le sort des Tutsis du Nord Kivu suspectés d’être proches de Kigali. Près de 15 000 Banyarwanda d’origine tutsie fuient les massacres et se réfugient au Rwanda afin d’être protégés par le nouveau régime à dominance tutsie du FPR. Les Banyamulenge du Sud Kivu sont quant à eux assimilés par les populations locales aux réfugiés rwandais et sont dès lors ostracisés. En mai 1996, de nombreux Banyamulenge sont tués dans la région du Masisi.
La présence des Interhamwe au Kivu, génératrice d’une insécurité grandissante, a placé cette région swahiliphone et très éloignée de Kinshasa, au cœur de la tourmente du conflit des Grands Lacs. Le discours des extrémistes hutus a en effet gangrené le Kivu et fait exploser la cohésion de la communauté Banyarwanda selon les distinctions ethniques de la guerre civile rwandaise. Les rapprochements intervenus entre 1994 et 1996 sont devenus des alliances propres à une véritable logique de guerre.
5 / La chute de Mobutu et l’arrivée de l’AFDL au pouvoir
La violence des troubles incessants au Kivu motive les voisins ougandais, rwandais et burundais à voir se pacifier la région sous l’influence des Etats-Unis.
Paul Kagame, cherche à éviter un nouveau génocide mais estime aussi devoir traquer les génocidaires là où ils se trouvent, revendiquant un véritable droit de poursuite. Cette volonté de Kigali de traquer les génocidaires se traduit par la commission d’exactions commises sur les populations hutues réfugiées au Zaïre. On estime à environ 200 000 le nombre de victimes hutus des incursions de l’APR afin de sécuriser le Kivu et de le nettoyer de la présence des génocidaires.
C’est dans ce climat de grande instabilité qu’une coalition se met en place en octobre 1996 au Kivu. Il s’agit de l’Alliance des Forces démocratiques pour la libération du Congo (AFDL) qui va faire tomber le régime dictatorial du Maréchal Mobutu. Cette alliance tend à promouvoir les intérêts des populations d’origine tutsies et, plus largement, ceux de l’Est du pays. Elle est composée de quatre mouvements distincts :
- le Parti de la Révolution Populaire (PRP) fondé en 1967 et dirigé par L.D. Kabila, lumumbiste convaincu qui a été le chef d’une zone, subsistant selon des principes marxistes-léninistes dans une certaine autosuffisance, peuplée de Babembe et de Banyamulenge dans le Nord Katanga et le Sud Kivu. - l’Alliance Démocratique du Peuple (ADP) a été fondée en 1995 et rassemble des Banyamulenge et des Banyarwanda tutsis du Nord Kivu ; elle est présidée par Déogratias Bugera, un tutsi du Masasi. - le Mouvement Révolutionnaire pour la Libération du Zaïre (MRLZ) dirigé par Anselme Masasu, ancien colonel de l’Armée patriotique rwandaise, devenu membre des services de sécurité du Président ougandais Museveni, originaire d’Uvira, d’ethnie Bashi et dont le mère est une Tutsie rwandaise. - le Conseil National de Résistance pour la Démocratie (CNRD) fondé en 1993, regroupe des lumumbistes replié en Ouganda, présidé par André Kiase Ngandu, originaire du Kassaï et d’ethnie Luba.
L.D. Kabila parvient à conquérir le territoire zaïrois en sept mois grâce à l’appui de ses voisins ougandais et rwandais qui encadrent son armée, formée pour beaucoup de jeunes « Kadogos » de l’Est du pays. Kadogo signifie « petit » en swahili et désigne les enfants soldats de l’armée de Kabila qui ont été pour beaucoup recrutés par le commandant Masasu.
Le 17 mai 1997, Kabila s’autoproclame Président de la République démocratique du Congo. Il se présente comme le libérateur du pays et le garant de l’unité nationale se référant aux idéologies de son mentor décédé, le nationaliste Lumumba. L’ancien rebelle s’est appuyé en grande partie sur les populations de l’Est pour conquérir le pays. Pour celles-ci, son arrivée est un espoir de voir se sécuriser leur région et de régler, enfin, la question litigieuse de la nationalité des Banyarwanda depuis longtemps revendiquée.
III. L’impossible pacification du Kivu ou la déliquescence de la République démocratique du Congo
1/ Le début de la rébellion
L’AFDL apparaît vite incompétente et déchirée par des ambitions personnelles dans l’exercice du pouvoir. L’importance des Tutsis dans l’entourage de Kabila déplaît à ses frères katangais qui encouragent leurs évictions. Deux des chefs historiques de l’alliance sont ainsi renvoyés par le président Kabila : Déogratias Bugera est écarté du pouvoir en septembre 1997 et le Commandant Masasu est arrêté le 25 novembre 1997 pour une implication supposée dans un trafic de drogue.
L’armée congolaise, dirigée par James Kabare, est aussi rapidement divisée par les rivalités ethniques. Ce Rwandais anglophone issu de la diaspora ougandaise est un ancien officier de l’armée ougandaise qui a ensuite rejoint l’APR. Il est, à la fois, chef d’état major de l’AFDL et l’un des proches du président rwandais, Kagame. Il se trouve à la tête d’une armée désorganisée, qui ne connaît pas de cohérence linguistique (opposition entre le swahili et le lingala) ou ethnique (Katangais, Kassaïens et Tutsis). James Kabare, émissaire de Kigali, est renvoyé de son poste le 11 juillet 1998 par Kabila, qui congédie ensuite les cadres tutsis de l’armée et les remplace par des Katangais. Il est remplacé par Célestin Kifwa, civil katangais, beau-frère du Président autoproclamé. Dans le courant du mois de juillet 1998 la diaspora tutsie informée du projet d’un coup d’état contre Kabila quitte la RDC. Cinq cent Tutsis quittent la capitale dans la hâte avec les membres de leurs familles. Kabila, informé de la volonté étrangère de le destituer, décide de mettre fin à l’occupation de son pays. Le 27 juillet 1998, il annonce aux Congolais la fin de la présence des Rwandais. Lors de son discours, le président congolais remercie les rwandais de leur aide mais parle « de la fin de la présence de toute force militaire étrangère dans notre pays ». Ce propos a une portée fédératrice et L.D. Kabila incarne plus que jamais l’unité nationale.
La rébellion d’août 1998, orchestrée et soutenue par le Rwanda et l’Ouganda est motivée, d’une part, par l’indépendance encombrante de Kabila et, d’autre part, par son incapacité à sécuriser la région du Kivu où s’enracinent des mouvements de rébellions hostiles à leurs régimes respectifs. Les 2 et 3 août 1998, un soulèvement s’enclenche à l’Est du pays. Des combats opposent les soldats congolais aux soldats banyamulenges soutenant la rébellion, lesquels ont été rappelés pour participer à la prise de Kinshasa alors qu’ils se trouvaient dans le Bas Congo. Ceux-ci se retrouvent seuls à Kinshasa alors que les militaires tutsis rwandais ont déjà quitté la capitale. Les rebelles affirment avoir pris le contrôle de Goma et Bukavu. Ils décident de couper la centrale électrique d’Inga qui alimente Kinshasa, choix stratégique qui va être mal supporté par la population kinoise et qui va participer à la brutalité du soulèvement des Kinois.
2/ Le discours rwandophobe
Le régime de Kabila, mis en danger à l’Est du pays par la rébellion, est finalement sauvé par l’intervention et l’appui militaire du Zimbabwe, de l’Angola et de la Namibie [3] . Le Président du Zimbabwe, Robert Mugabe, voit dans cette alliance des débouchés économiques très attrayants pour sa manufacture d’armes et l’exploitation des riches minières du pays. L’Angola souhaite mettre fin, de son côté, aux incursions incessantes de l’UNITA dont certains éléments sont repliés en RDC et font fructifier l’exploitation diamantifère afin de financer l’effort de guerre de l’organisation.
Le régime de Kabila acculé par les rebelles, n’hésite pas à s’appuyer sur le sentiment nationaliste des Congolais qui renvoie opportunément à la question, toujours en suspens, de la nationalité des populations de l’Est d’origine rwandaise et au sentiment anti-tutsi généralisé dans la population. Pour se défendre de la rébellion arrivée aux portes de la capitale (à l’Est : N’Djili, Kinsangani et Masina), le 26 août 1998, le Président autoproclamé et son entourage décident en effet de mettre à contribution le peuple afin de sauvegarder l’unité nationale contre l’occupation étrangère jusqu’ici tolérée. Le gouvernement congolais accuse le Rwanda de soutenir les rebelles. Le pouvoir de Kinshasa exploite, en fait, le réel sentiment d’agression vécu par la majorité des congolais lors la rébellion et particulièrement des Kinois [4] . Le régime congolais choisit d’utiliser des mots qui font appel à l’imaginaire déjà utilisé lors du génocide rwandais de 1994 : les Rwandais sont les ennemis qu’il convient d’abattre à tout prix. Mais à l’Est du pays, ce sont les populations d’origine Hutus et leurs alliés qui ont été traqués et qui ont été victimes des exactions commises par les rebelles d’obédience tutsie du RCD-Goma.
L’amalgame s’accompagne d’un discours très violent. Le chef de cabinet de Kabila, Yerodia Domabassi, parle ainsi des « déchets, des microbes qu’il faut que l’on traque avec résolution ». Colette Braeckman cite un de ses discours à Lubumbashi, dans lequel il a demandé aux congolais du Bas-Congo « de se lever comme un seul homme pour jeter hors du pays l’ennemi commun ». Explicitant la marche de manœuvre à adopter, il a déclaré que « la population doit pour cela utiliser toutes les armes à disposition, y compris les fusils de chasse, les machettes, les pioches, les flèches, les bâtons et les pierres ». Cette appellation générale de « Rwandais » englobe les Rwandais et ceux qui leur ressemblent. De la réalité historique de l’immigration rwandaise naît dans la conscience collective de la plupart des congolais non rwandophones une haine xénophobe contre les « Rwandais » ou assimilés comme tels. Oubliant l’enracinement séculaire des Banyamulenge à l’Est du pays ou celui des Banyarwanda datant de la domination belge, ces populations sont désormais envisagées comme le soutien de la présence rwandaise au Congo.
L’appellation de « Banyamulenge » ne se limite plus dès lors à celle des Tutsis congolais du Sud-Kivu, occupant les plateaux de l’Itombwe, mais s’applique aux Tutsis des deux Kivu et à l’ensemble des Tutsis qui revendiquent la nationalité congolaise. Le pouvoir ne prend pas le soin de distinguer l’agresseur militaire des simples civils tutsis. A Kinshasa des « comités d’autodéfense populaire » sont mis en place, regroupant les jeunes de quartiers pauvres qui cherchent à débusquer tout infiltré potentiel. La population applique à la lettre les indications étatiques. C’est le début de la chasse aux Rwandais qui visent plus particulièrement les Tutsis, assimilés par le pouvoir et la population au régime de Kagame. La population, inflige aux envahisseurs le supplice du collier : une trentaine de rebelles sont brûlés vifs avec un pneu autour du cou. En outre, ceux qui ont des traits physiques qui font penser aux Tutsis sont aussi victimes des exactions de la population et des militaires comme les Bashi du Kivu : la morphologie fait office de preuve. La suspicion est généralisée contre toutes les personnes soupçonnées d’avoir des origines tutsies ou rwandaises ou contre les personnes proches de ceux-ci. L’organisation congolaise de défense des droits de l’homme « la Voix des sans Voix » fait état de 51 morts et de 200 blessés. D’autres sources estiment qu’il y a eu à 600 morts lors des affrontements. L’association Human Rights Watch s’est inquiétée du sort des Tutsis détenus en RDC dans un communiqué en date du 18 août 1998 et fait état de la détention de 800 Tutsis dont la plupart au camp militaire de Kokolo à Kinshasa, alors même qu’il s’agit de civils. La Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, citant un communiqué de presse de l’ASADHO en date du 9 septembre 1998, fait état d’autres détentions arbitraires au camp Tshatshi et dans différents cachots des services de renseignements et au cachot de Kin-mazière à Kinshasa-Gombe. Certaines ont été justifiées par les autorités congolaises par la volonté de protéger lesdites populations de la vindicte populaire pourtant instrumentalisée. En réalité, selon ces mêmes sources, une partie des détentions arbitraires ont été suivies d’exécutions sommaires ou de disparition non élucidées à ce jour.
Certains Tutsis se sont réfugiés à l’ambassade de Belgique, dans les locaux du Haut Commissariat aux réfugiés ou sont restés cachés à Kinshasa, ainsi qu’au couvent Batika à Lubumbashi. Pour protéger les Tutsis, restés à Kinshasa, les autorités congolaises ont mis en place, en novembre 1998, un « Site d’hébergement des personnes vulnérables » dans les locaux de l’Institut National de Sécurité sociale (INSS) situé dans la cité Maman Mobutu à Kinshasa. Des milliers de Tutsis ont quitté la RDC et ont été accueillis aux Etats-Unis, au Canada, en France et en Belgique après avoir transité par le Bénin ou le Cameroun. Selon les informations collectées lors de la mission du CEDOCA, entre 16 juin et le 5 août 2002 à Kinshasa, et confirmées par le rapport du Home Office d’octobre 2002, il restait encore plus de 300 Tutsis, mais aussi des Hutus et des personnes issues de mariages mixtes dans le centre de l’INSS en attente d’une réinstallation.
3/ La situation des banyamulenge à Kinshasa depuis 1998
Depuis ces évènements, la question de la nationalité des Banyarwanda du Kivu n’a toujours pas été résolue. Il en résulte un véritable un vide juridique qui les faits regarder par le CICR comme des apatrides [5] . Interrogé sur la difficile question de l’octroi des passeports pour les Congolais d’origine tutsie, y compris les Banyamulenge, la Commission Canadienne de l’Immigration et du statut de réfugiés répond que ces derniers ne sont pas reconnus comme des citoyens Congolais à part entière puisque la nationalité ne leur est pas reconnue.
Cependant comme le montre l’étude des différents rapports des offices gouvernementaux, des ONG internationales et des associations locales de défense des droits de l’Homme comme l’ASADHO, les Tutsis congolais ne sont plus victimes des consignes gouvernementales d’une violence xénophobe organisée, depuis la fin des pogroms d’août et septembre 1998.
Les Tutsis congolais ne sont plus considérés comme encourant des risques spécifiques dans la capitale. Il n’en reste pas moins que les trois cents Tutsis congolais, recensés à Kinshasa, se trouvent encore dans le camp de l’INSS, sous la protection des autorités, en attente d’une réinstallation à l’étranger. Leur disparition de la capitale peut en partie s’expliquer par la violence et la cruauté des exactions dont ils ont été victimes et qui les ont poussés à se réfugier à l’étranger ou partir en zone rebelle. Les années qui ont suivi ces tueries ont été marquées par d’autres préoccupations du pouvoir en place à Kinshasa. Le président L.D. Kabila a d’abord interdit toute activité politique, refusant toute expression d’une opposition. Son assassinat le 16 janvier 2001 et la reprise du pouvoir par son fils Joseph ont été suivis de nombreuses arrestations arbitraires et de l’inculpation de 135 prévenus dans le cadre du procès de ses assassins présumés. La situation de grande pauvreté qui sévit à Kinshasa, explique pour beaucoup la violence qui y règne et dont font état les ressortissants de la RDC. L’insécurité existant dans la capitale est, en effet, souvent le fait de bandits ou de membres des Forces Armées Congolaises (FAC), agissant en dehors de tout contrôle et se rétribuant directement sur la population.
4/ La situation des communauté Banyarwanda et Banyamulenge dans la zone de rébellion
La RDC est le théâtre d’incessants combats entre les multiples belligérants de la guerre qui fait rage à l’Est du pays depuis 1998. Les richesses minières du pays encouragent, en effet, ses voisins à piller le Congo tout en alimentant à moindres frais l’effort de guerre. Les alliances d’hier (Rwanda et Ouganda) autrefois indéfectibles ont perdu leur raison d’être devant la potentialité des riches sols congolais comme c’est le cas en Ituri. Certains miliciens Maï Maï, autrefois proches du pouvoir central et des Hutus, ont rejoint l’effort de guerre des Rwandais.
Dans ce conflit dont l’issue reste incertaine et dont les données changent quotidiennement, les Banyamulenges apparaissent actuellement comme les perdants. Pour certains, l’argument selon lequel les Rwandais sont intervenus dans le Kivu afin d’apporter une protection à leurs cousins banyamulenge en raison de leurs origines Tutsies communes est un leurre. Il s’agirait, en réalité, pour les Rwandais de s’implanter durablement au Congo afin d’étendre leur influence et d’y puiser les richesses. Le pouvoir rwandais a, en outre, incité certains d’entre eux à retourner au Rwanda pour qu’ils y soient à l’abri des massacres. La volonté de transférer les Tutsis Congolais au Rwanda pour leur garantir une certaine sécurité a été mal acceptée par ces derniers alors que le pouvoir de Kigali n’a pas été en mesure d’arrêter les massacres des Tutsis du Nord Kivu dans les camps de réfugiés. Il y a donc eu un soulèvement de deux milles hommes, dans le Sud-Kivu au début de l’année 2002, avec à sa tête le commandant banyamulenge Patrick Mazunzu. Ce mouvement de rébellion a confirmé une volonté des certains banyamulenge de se départir du RCD-Goma et de ses parrains rwandais.
Il s’agit là encore pour les Banyamulenge de revendiquer avec force l’authenticité de la réalité de leur identité rwandaise au Congo. La reconnaissance de cette identité apparaît indispensable pour la réussite du processus de paix en République Démocratique du Congo.
[1] Le préfixe « ba » indique qu’il s’agit d’un pluriel et le préfixe « mu » d’un singulier. Banyarwanda : signifie les gens du Rwanda.
[2] Article 15 de la loi n°72-002 du 5 janvier 1972 relative à la nationalité zaïroise, JO n° 2 du 15/01/1972 p 45
[3] Tous trois membres comme la RDC de la Communauté de développement d’Afrique Australe (SADC), à laquelle n’appartiennent pas le Rwanda et l’Ouganda.
[4] « Les zones de rébellion en RDC », V. Coulondre, Service de documentation géopolitique, CRR.
[5] CICR, Rapport d’activité 1996 au Zaïre et CEDOCA, rapport de mission p.22.
Abatabizi bicwa no kutabimenya.
Nikozitambirwa.